Les naufragés du fol espoir par le Théâtre du soleil / by herwannperrin

Il est difficile de se prononcer sur la beauté, celle de l'Art au sens le plus pur qui soit. C'est un de ces moments rares que nous a offert hier Ariane Mnouchkine et la troupe du théâtre du soleil.

Création collective mi-écrite par hélène Cixous librement inspirée d'un roman posthume de Jules Verne (En Magellanie (1897), publié en 1909 sous le titre Les Naufragés du « Jonathan » et en 1987 dans sa version d'origine) sur la musique de Jean-jacques Lemêtre.Tout est assez sublime dans cette représentation qui donne à cet art une autre dimension. En effet, le rendez-vous auquel vous convie la troupe est multiple. Dans un premier temps les comédiens (environ 34) vous attendent en salle pour vous servir pour ensuite vous laisser avoir un accès visuel et par le haut à leurs loges et voir ces instants magiques dans lesquels les acteurs se transcendent pour devenir autre, un être total et sans concession dévoué à son art ultime. La représentation peut alors débuter, une grande scène ou va virevolter au gré des scènes et elles sont nombreuses une multitude de décors à la fois simple et subtils, des accessoires et un rythme effréné pour une représentation de près de 4 heures. Eh oui, cela fait peur, à moi aussi mais c'est sans connaître les ressources inépuisées, inépuisables de ces hommes, femmes qui vont nous régaler durant cet intermède qui se déroulent devant nos yeux ébahis.Et ce qui est également très fort c'est qu'il ne s'agit pas vraiment de théâtre, je m'entends, évidemment c'est du théâtre mais ce qui se passe là, c'est un film : le tournage d'un film muet qui nécessite la mobilisation de tous, des tous les employés de la brasserie qui est en dessous du grenier où se joue successivement les drames de l'histoire. On est à l'heure de l'assassinat de Sarajevo, le 28 juin 1914, à la veille de la première guerre mondiale, tout est là pour que la guerre ne puisse qu'éclater envers et contre tous, contre le socialisme, Jaurès n'y pourra rien lui d'ailleurs qui restera sans vie le 31 juillet 1914. La tension est là, palpable, les gens sont accablés, tristes, désoeuvrés, il faut accélérer pour faire aboutir le film. Le départ pour le Cap Horn est là et la fin inéluctable pendante, l'or corrompt tout absolument. Il faudra l'intervention inopinée d'un homme pour sauver ce qui peut encore l'être mais a quel prix et pour combien de temps. L'Utopie est là qui peut être la solution à ce bout de terre de feu donné, ce bout de terre sans maître que les grands ne se disputent plus, pas encore. Les indiens qui y vivent pourront peut être un jour échapper à leur fin, à cette destruction par la haine ou par la corruption.Le film est comme à l'époque un film muet qui ressemble à si méprendre au tournage d'un véritable film, il ne manque plus que les dialogues... Eh bien figurez-vous qu'ils sont eux aussi présent à la manière d'alors, de petits encarts avec le texte écrit, celui que connaît l'acteur et qu'il mime, il n'y avait pas encore de synchronisation du son. L'effet est saisissant, peu de dialogues entre les acteurs, cela se réduit au final au minimum et de l'écrit sous forme de monologue, de phrase dont l'ensemble forme un tout indivisible, compact et dense. Le temps est ponctué de la lecture des grands titres de la presse par une voix off et cette musique qui vous suit de partout et qui donne de la vie aux scènes que vous voyez. La troupe y met tout son art et son énergie, chaque scène étant mimée et chaque acteur u presque accompagné d'un autre pour donner plus de vie à ces scènes "filmées" dans lesquelles vous êtes littéralement projetées et vous vous retrouvez une fois dans le grand nord au prise avec une tempête de neige, de l'autre à une scène de chasse avec des chasseurs de primes, l'amour qui fait irruption sur scène, l'amitié aussi et la beauté du vent et de l'oiseau ainsi que de Félix et sa danse, sa gigue interminable ou encore cette dernière scène final, ce radeau de la méduse qui lutte pour cet idéal perdu, cet espoir fol qui jamais ne sera atteint... la folie des hommes est décidément la plus forte.Partez à la découverte des tribuns, de la naissance de la démocratie, on entend la volonté générale chère à Rousseau qui raisonne et on ne peut s'empêcher de revivre des moments de pure liberté dans lesquels loin des lois du marketing, des médias et autres instances on essayait de construire un monde de principes, un monde d'idéal et d'Idées.Voilà quelques unes des bribes que vous aurez la joie de vivre et encore ce n'est rien

Hélène Cixous d'indiquer : "[...] et si nous y allions ? si nous cherchions la lune sur la terre ? de quoi aurait-elle l'air ? elle serait blanche, brillante et vierge. Ce serait une i?le. imaginons. on pourrait y tracer le mode?le de l'humanite? future. on dessinerait la de?mocratie ide?ale trois mille ans apre?s eschyle. Jaure?s a bien dit dans son premier e?ditorial du 18 avril 1904 que "l'humanite? n'existe pas encore, ou bien elle existe a? peine..." il voulait parler de l'humanite? humaine, naturellement, l'humanite? humaniste, l'humanite?-e?galite?, justice, partage. L'humanite? ! "L'humanite? n'existe pas encore" mais elle viendra. elle vient. oh ! oui c'est le sie?cle de l'humanite? qui vient, se dit-on. et elle s'annonce moderne, dynamique. L'air est mythologique. Les e?tres humains sont prolonge?s, agrandis, e?tendus, porte?s au-dela? de leurs pe?rime?tres. ils aspirent. et Jaure?s a dit : ou elle existe "a? peine". eh bien, si cet "a? peine", c'e?tait nous. on prendrait la peine de la faire nai?tre a? peine, un peu, modestement, ide?alement, sce?ne par sce?ne. [...] Jusqu'ou? irons-nous ?! plus loin que l'inde, plus loin que le Chili et l'argentine ! aujourd'hui, nous sommes le 29 Juin 1914. Qu'est-ce qui pourrait nous arre?ter ?"

Cela se joue encore jusqu'au 9 janvier à la Cartoucherie de Vincennes, avis aux amateurs......... puis encore un peu à Lyon jusque fin février 2011Le théâtre du soleil