Les lettres du Yage de William Burroughs / by herwannperrin

Eh bien ma foi, assez déçu par ce livre découverte sur le yage, l'ayahuasca cette drogue hallucinogène d'amérique du Sud en quelque sorte redécouverte par William Burroughs lors d'un long voyage "initiatique." 


En fait, il s'agit plutôt d'une sorte de roman retravaillé pour aboutir sous la forme d'un échange de lettres entre lui et Ginsberg, c'est d'ailleurs une de ses lettres que j'ai le plus apprécié. Ce n'est pas la forme ou le voyage en soi qui m'ont déçu mais plutôt l'écriture et le manque d'expérimentation ou de sensation issue de cette prise de yage. 

On voyage avec Burroughs dans l'amérique du sud d'alors, il est sans le sou à une vision d'en bas et presque nue des sociétés et des régimes qu'il traverse mais cela manque de force, de contrepoints... A la limite, les 60 premières pages qui décrivent l'histoire du bouquin sont presque plus denses que le bouquin en soi. Cette genèse difficile de l'oeuvre, cette insistance de Ginsberg par delà les années alors qu'il n'est plus avec Burroughs, c'est assez intéressant de découvrir les dessous d'un livre...

Voilà, je crois qu'il faudra que je lise d'autres choses de lui pour me faire une meilleure idée... J'espère qu'avec Connaissance par les gouffres de Michaux ce sera un peu différent...

Un extrait et le début du roman sur le site de l'éditeur Christian Bourgeois  :

"Le 15 janvier 1953

Hôtel Colon, Panamá

Cher Allen,
Je me suis arrêté ici pour me faire retirer mes hémorroïdes. Pas terrible de retourner parmi les Indiens avec des hémorroïdes.
Bill Gains était en ville et il a grillé toute la République du Panamá en carburant au Parégorique, de Las Palmas à David. Avant Gains, Panamá était la ville du PG. Tu pouvais t'acheter quatre onces dans n'importe quelle pharmacie. Maintenant les pharmaciens font les difficiles et la Chambre des députés était sur le point de faire passer une Loi spéciale Gains quand il a jeté l'éponge et est reparti au Mexique. Pendant que je me désintoxiquais, il n'a pas arrêté pas de me tanner, qu'est-ce que je m'imagine, junkie un jour junkie toujours. Si j'arrête la came, je vais devenir une espèce d'alcoolo larmoyant ou prendre de la cocaïne et perdre la tête.
Une nuit, j'étais bourré et j'ai acheté du parégorique et il n'a pas cessé de me dire encore et encore : «Je savais que t'allais revenir avec du parégorique. Je le savais. Tu vas rester junkie pour le restant de ta vie» en me regardant avec son petit sourire de félin. La came est une cause avec lui.
Je suis descendu à l'hôpital en manque et j'y ai passé quatre jours. Ils ne m'ont fait que trois piqûres de morphine et je n'ai pas pu dormir à cause de la douleur et de la chaleur et de la privation sans compter qu'il y avait un cas de hernie panaméenne dans la chambre avec moi et que ses amis sont venus le voir et sont restés toute la journée et la moitié de la soirée, l'un d'eux est en fait resté jusqu'à minuit.
Me souviens d'être passé dans le couloir devant des Américaines qui ressemblaient à des femmes d'officiers. L'une d'elles disait : «Je ne sais pas pourquoi mais je ne peux absolument pas manger de bonbons.»
«Vous avez du diabète, lady», ai-je dit. Elles se sont toutes retournées d'un coup et m'ont lancé un regard scandalisé.
Après avoir quitté l'hôpital, je me suis arrêté à l'ambassade américaine. Il y a devant l'ambassade un terrain vague recouvert de mauvaises herbes et d'arbres où les garçons se dénudent pour aller nager dans les eaux polluées de la baie; foyer d'un petit serpent de mer venimeux. Odeurs d'excrément et d'eau de mer et du désir de jeunes mâles. Pas de lettres. Je me suis encore arrêté pour acheter deux onces de parégorique. Le même vieux Panamá. Des putes et des macs et des arnaqueurs.
«Tu veux une gentille fille?»
«Une danse de femmes nues?»
«Me voir baiser ma s?ur?»
Pas étonnant que le prix de la nourriture soit si élevé. Ils ne peuvent pas les garder à la ferme. Ils veulent tous venir dans la grande ville et devenir des macs.
J'avais sur moi un article de magazine sur une boîte à l'extérieur de Panamá appelée le Blue Goose. «C'est une boîte où l'on voit de tout. Des trafiquants de drogue se cachent dans les toilettes pour hommes avec à la main une seringue hypodermique remplie et prête à gicler. Ils sortent parfois rapidement des toilettes et vous la plantent dans le bras sans attendre votre consentement. Les homosexuels se déchaînent.»
Le Blue Goose ressemble à un relais routier du temps de la Prohibition. Un long bâtiment à un étage délaissé et recouvert de vigne vierge. J'entendais des grenouilles croasser depuis les bois et les marécages aux alentours. Quelques voitures garées à l'extérieur, une faible lumière bleuâtre à l'intérieur. Ça m'a rappelé un relais routier de mon adolescence et le goût des gins rickeys en été dans le Midwest. (Oh mon Dieu! Et la lune d'août dans un ciel violet et la bite de Billy Bradshinkel. Comme tu peux être larmoyant parfois!)
Immédiatement, deux vieilles putes se sont assises à ma table sans que je leur aie demandé et ont commandé à boire. L'addition pour une tournée était de $6,90. La seule chose qui se cachait dans les toilettes pour homme était une dame-pipi insolente et exigeante. J'ajouterais que bien loin de me déchaîner au Panamá, je n'y ai jamais déniché un garçon. Je me demande comment serait un jeune Panaméen? Probablement coupé. Quand ils disent qu'on y voit de tout, ils font référence à la boîte, pas aux clients.
Je suis tombé sur mon vieil ami Jones le chauffeur de taxi et je lui ai acheté de la C qui était coupée, un aller-retour en enfer. J'ai failli m'étouffer en essayant de sniffer assez de cette merde pour décoller. C'est ça le Panamá. Je ne serais pas surpris qu'ils coupent les putes avec du caoutchouc spongieux.
Les Panaméens sont en quelque sorte les gens les plus minables de l'Hémisphère (j'ai cru comprendre que les Vénézuéliens leur faisaient concurrence) mais je n'ai jamais rencontré un groupe de citoyens aussi déprimant que ceux de la fonction publique de la zone du canal. On ne peut pas contacter un fonctionnaire au niveau de l'intuition et de l'empathie. Il n'a tout simplement aucun poste de réception, et il s'épuise comme une vieille pile morte. Il doit y avoir une onde cervicale basse fréquence spécifique aux fonctionnaires.
Les hommes de la fonction publique n'ont pas l'air jeunes. Ils n'ont aucun enthousiasme et aucune conversation. En fait, ils évitent la compagnie des civils. Les Noirs branchés sont les seuls éléments avec lesquels j'ai des contacts au Panamá et ils font tous dans l'arnaque.

Affectueusement,
Bill

P.S. : Billy Bradshinkel s'est avéré être une telle nuisance que j'ai dû finalement le tuer :
La première fois, c'était dans ma modèle A après le bal d'étudiants du printemps. Billy avec son pantalon baissé jusqu'aux chevilles et sa chemise de smoking encore sur le dos, et du foutre sur tout le siège. Plus tard, je lui ai tenu le bras lorsqu'il a vomi devant les phares de la voiture, l'air jeune et pétulant avec sa chevelure blonde tout ébouriffée dans le vent chaud de printemps. Puis nous sommes retournés dans la voiture, j'ai éteint les feux et j'ai dit : «Encore une fois.»
Et il a dit : «Non on ne devrait pas.»
Et j'ai dit : «Pourquoi?», et du coup il était lui aussi excité alors on a recommencé et j'ai glissé mes mains le long de son dos sous sa chemise de smoking et je l'ai serré contre moi et j'ai senti les longs poils de bébé de sa joue tendre contre la mienne et il s'est endormi là et le jour s'est levé pendant qu'on rentrait en voiture.
Après ça plusieurs fois dans la voiture et une fois sa famille était partie et nous avons retiré tous nos vêtements après quoi je l'ai regardé dormir comme un bébé, la bouche entrouverte.
C'est l'été où Billy a attrapé la typhoïde, et je suis allé le voir tous les jours et sa mère me donnait de la limonade et une fois son père m'a donné une bouteille de bière et une cigarette. Quand Billy allait mieux, nous allions souvent en voiture jusqu'au lac Creve C?ur et nous louions un canot et nous allions pêcher et nous nous allongions au fond du canot bras dessus bras dessous sans rien faire. Un samedi, nous avons exploré une vieille carrière et nous avons trouvé une grotte et dans cette obscurité poisseuse, nous avons enlevé nos pantalons.
Je me souviens que c'est en octobre de la même année que j'ai vu Billy pour la dernière fois. L'un de ces jours tristes et brillants qu'on trouve dans les Ozarks en automne. On était partis en voiture à la campagne pour chasser les écureuils avec mon .22 à un coup, et nous marchions dans les bois sans rien voir sur quoi tirer, et Billy était silencieux et morose, et l'on s'est assis sur une bûche, et Billy regardait ses chaussures et finit par me dire qu'il ne pouvait plus me revoir. (Tu remarqueras que je t'ai épargné les feuilles mortes.)
«Mais pourquoi Billy? Pourquoi?»
«Eh bien, si tu ne le sais pas, je ne peux pas te l'expliquer. Retournons à la voiture.»
On est rentrés en voiture dans le silence et quand on est arrivés devant chez lui, il a ouvert la porte et est sorti. Il m'a regardé une seconde comme s'il allait dire quelque chose puis il s'est retourné d'un coup et a pris le chemin en dalle qui mène à sa porte. Je suis resté assis là une minute, je regardais la porte fermée. Je suis rentré chez moi en voiture,
je me sentais tout engourdi. La voiture à l'arrêt dans le garage, je posai ma tête sur le volant, et commençai à sangloter et me frottai la joue contre les rayons en acier. Puis Mère m'appela d'une fenêtre à l'étage qu'est-ce qui n'allait pas et pourquoi je n'entrais pas dans la maison. Alors j'essuyai mes larmes et rentrai et prétendis être malade et je montai me coucher. Mère m'apporta un bol de pain perdu sur un plateau, mais je ne pus rien avaler et pleurai toute la nuit.
Après ça, j'ai téléphoné plusieurs fois à Billy, mais il raccrochait toujours dès qu'il entendait ma voix. Et je lui ai écrit une longue lettre à laquelle il n'a jamais répondu.
Trois mois plus tard quand je lus dans le journal qu'il s'était tué dans un accident de voiture et que Mère me dit : «Oh, c'est le petit Bradshinkel. Vous étiez de si bons amis, n'est-ce pas?»
Je dis : «Oui Mère» et ne ressentis rien du tout.
J'en ai tellement de ces folles niaiseries que je pourrais en remplir des pages et des pages. Un autre numéro : Un homme qui fabrique des souvenirs sur commande. Le genre que tu veux et il te garantit que tu croiras que les choses se sont passées exactement comme ça; (En fait, j'étais moi-même sur le point de gober Billy Bradshinkel.) Un vers du Marchand de sable japonais sert de chanson thème à l'histoire : «Rien qu'un vieux revendeur qui troque vos nouveaux rêves contre ceux d'antan.» Ah que Diable! Refilez ça à Truman Capote.
Un autre souvenir mais véridique. Tous les dimanches au déjeuner, ma grand-mère nous ressortait son défunt frère du tombeau mort il y a 50 ans lorsqu'en tirant sur son fusil de chasse coincé dans une barrière, il s'explosa les poumons.
«Je n'oublierai jamais mon frère, un si gentil garçon. Je déteste voir des garçons avec des fusils.»
Alors tous les dimanches au déjeuner, on avait droit au garçon étendu près de la barrière en bois et au sang sur l'argile rouge et gelée de Géorgie qui coulait dans le chaume hivernal.
Et cette pauvre Mme Collins qui attend que mûrissent ses cataractes pour se faire opérer de l'?il. Oh Seigneur! Les déjeunés dominicaux de Cincinnati!
"