Rétrospective : « Africamania », 50 ans de cinéma africain à la Cinémathèque française, jusqu'au 17 mars 2008 / by herwannperrin

 

Non, le cinéma africain, ce n'est pas que Les dieux sont tombés sur la tête !, peut-être le seul succès international d'un film du continent, où les Noirs sont traités par-dessus la jambe dans un pays (l'Afrique du sud), où l'apartheid était encore de rigueur.

Loin de là. La preuve en images à la Cinémathèque française de la rue de Bercy, qui accueille, jusqu'en mars une rétrospective consacrée aux cinémas d'Afrique subsaharienne. La définition retenue ici de l'Afrique n'inclut pas le Maghreb ou l'Egypte, pourvus il est vrai d'histoires cinématographiques propres.

 

Dans les pays « noirs » d'Afrique exposés, il est de coutume de distinguer les cinémas des pays de l'ancienne sphère d'influence de la France et de la francophonie, et ceux de la sphère dite anglophone. Même si cette vision peut paraître trop marquée par l'Histoire, voire post-colonialiste, force est de constater qu'elle est opérante.

 

En résumé : les pays de la sphère francophone ont une histoire plus riche et ancienne, parfois trop tournée vers la réalisation de films à vocation poétique pour les festivals et marchés occidentaux (notamment la France qui les coproduit souvent) et les pays de la sphère anglophone ont une histoire beaucoup plus récente, centrée quasi exclusivement sur deux pays, le Nigeria et l'Afrique du sud, et très tournée vers le numérique, et vers l'exploitation télévisuelle des contenus tournés vers les publics locaux. Un cas à part est la sphère lusophone, où quelques réalisateurs comme Flora Gomes, de Guinée-Bissau, donnent de loin en loin des images de fiction à des pays qui en ont peu. Les longs-métrages de fiction ayant donc été longtemps une spécificité de la sphère francophone, la rétrospective de la Cinémathèque se focalise naturellement dessus.

 

Pour vérifier cela sur place, à la Cinémathèque, on conseillera donc de voir les classiques du cinéma africain, en priorité les films du « père du ciné africain » décédé l'an passé, le politique Ousmane Sembène, ancien docker à Marseille retourné au pays (La Noire de?, Le Mandat, Ceddo, Xala, Mooladé, entre autres). Souvent, ses films (coproduits par la France), comme d'autres après lui, interrogent de façon critique le rapport à l'ancienne puissance colonisatrice, à sa domination économique qui perdure, jusque dans l'exil des Africains dans l'Hexagone, mais aussi la corruption des élites locales et la façon dont les Africains peuvent accompagner leur propre naufrage. Le rire y est souvent jaune. Dans Le Mandat, comédie satirique quasi italienne, façon Affreux, sales et méchants, Sembène montre comment un vainqueur de la loterie nationale se fait déposséder progressivement par tous ses proches et voisins de la somme. L'utilisation de la langue locale et non du français (comme dans ses débuts avec La Noire de?) constitue un geste politique d'émancipation de Sembène, vis-à-vis de la France qui coproduit, et avec qui les relations sont donc incestueuses. C'est aussi en cela que Sembène a ouvert la voie, en pionnier, aux autres cinéastes africains. Capable de tacler la France jusqu'à la fin de sa vie, il fut également jusqu'au bout un pamphlétaire des m?urs africaines elles-mêmes : son dernier film, Mooladé (2004), dénonce les pratiques rampantes d'excision.

 

 

Parallèlement, s'est développé une forme de cinéma plus poétique, illustrant contes et légendes, dans l'Afrique rurale des cases et de la savane, inventant des formes de mises en scène et des images, et dont le père putatif serait le Malien Souleymane Cissé (Yeelen / La Lumière, prix du Jury à Cannes en 1987, Finye / Le Vent, Baar /Le Travail). On retrouve également ce type de films au Burkina-Faso, le pays qui a impulsé le premier (et le seul ?) une vraie politique d'incitation à la création cinématographique, depuis les années 70, et permis l'émergence de Gaston Kaboré (Wend Kuuni, Buud Yam), Idrissa Ouedraogo (Yaaba, Tilaï) ou Pierre Yameogo (Dunia, Laafi).

 

Ce type de film, qui a donné une incontestable nouvelle dimension au cinéma africain, s'est développé dans les années 80 au risque d'être exposé à la critique d'être uniquement destiné aux festivals et marchés occidentaux (et à leurs élites urbaines), en donnant une image un peu cliché de l'Afrique, mais ne parlant certainement pas aux publics africains, qui n'y ont que peu accès en raison de la faiblesse du parc de salles de cinéma, et qui attendent des histoires urbaines et contemporaines. Certains y ont vu une forme de « post-colonialisme ». Dans Le Monde du 7 février ? un des rares média de masse à avoir évoqué cette rétrospective, bravo Thomas Sotinel ? le cinéaste nigérian Newton Aduaka dit ainsi que Yeelen, incunable de Cissé qui met en image une légende immémoriale où la lumière représente le passage de l'âge enfant à l'âge adulte, a fait autant de bien que de mal au cinéma africain.

 

Parmi les autres cinéastes d'Afrique subsaharienne, la Cinémathèque permet de découvrir certains des plus connus, mais dont les films sont très peu visibles en France (hormis parfois au Forum des Images à Paris, hélas fermé longuement pour travaux) : les Sénégalais Med Hondo (Soleil O) et Djibril Diop-Mambéty (Hyènes et surtout Touki-Bouki, chef d'?uvre halluciné, space opéra godardien sur le thème de la difficulté du choix de l'exil, thème si fréquent dans le cinéma africain), l'Ivoirien Désiré Ecaré (Visages de femmes), le Malien Cheikh Oumar Sissoko (Nyamanton, Finzan, Guimba, La Genèse)?

 

Curieusement, le plus connu et certainement le plus intéressant cinéaste africain d'aujourd'hui, Abderahmmane Sissako, Malien qui a vécu en Mauritanie, puis aujourd'hui en France, est capable de s'exposer dans les deux courants : film d'une intense poésie (Heremakono / En attendant le bonheur) comme dans le pamphlet politique (Bamako, qui dresse concrètement un portrait des pays du nord et de l'aide aux pays africains qui ne ferait qu'entretenir l'aliénation).  Pour le reste, mis à part quelques exceptions heureuses de loin en loin (par exemple, Daratt du Tchadien Mohamat Saleh-Haroun), force est de constater que les films africains sortis depuis une dizaine d'années se font régulièrement étriller par la critique, qui déplore sans trop d'indulgence le manque de moyens, la faiblesse des histoires, la typologie rapide des personnages?

 

Heureusement, çà et là, au-delà de Sissako, quelques lumières semblent s'allumer, comme autant de phares indiquant la possibilité d'une poursuite de l'aventure artisanale du cinéma africain. Ainsi, le numérique, qui ne sera peut-être pas la panacée, permettra sans doute le développement d'un cinéma plus fort en quantité de films produits et plus destiné aux publics locaux. Ce qui est déjà beaucoup. Le Nigéria a ouvert la voie, reste à voir si le reste du continent aura les moyens et l'énergie de suivre le mouvement. L'Afrique du sud se situe dans son sillage avec une capacité à créer des longs-métrages de fiction classiques qui a pu être célébrée l'an passé avec l'Oscar (contestable !) du meilleur film délivré à Mon nom est Totsi de Gavin Hood (qui, gagnant ainsi son ticket pour Hollywood, a depuis réalisé Détention secrète). Bref, aujourd'hui, la sphère anglophone, longtemps cantonnée à pas grand-chose dans le domaine du long-métrage, est celle qui semble connaître une vraie dynamique. Cela reste à vérifier avec les « avant-premières » proposées par la Cinémathèque de films récents ? en fait souvent des films qui n'ont toujours pas trouvé de distributeurs? L'avenir du cinéma africain tient tout entier dans cette interrogation permanente sur sa possibilité. C'est aussi ce qui en fait le prix. 
 


Programme d'Africamania
à la Cinémathèque

 
 Cinémathèque française : www.cinematheque.fr

 1, rue de Bercy - 75012 Paris