Où j'ai laissé mon âme de Jérôme Ferrari (9/10) / by herwannperrin

Un roman qu'il vous faut lire, presque impérativement

3 jours de mars 1957, 3 jours d'action, d'interrogation, de réflexion de retour sur une vie, des vies, des soldats, hommes, des frères. Une réflexion qui prend la forme de monologue propre au Capitaine André Degorce d'un côté et au Lieutenant Horace Andreani.

27 mars, Premier jour, Genèse, IV, 10
Yahvé reprit : Qu'as-tu fait ! Écoute le sang de ton frère crier vers moi du sol !

28 mars 1957, Deuxième jour, Matthieu XXV, 41-43
Ensuite il dira à ceux qui seront à sa gauche : Retirez-vous de moi, maudits; allez dans le feu éternel qui a été préparé pour le diable et pour ses anges.

Car j'ai eu faim, et vous ne m'avez pas donné à manger; j'ai eu soif, et vous ne m'avez pas donné à boire;

j'étais étranger, et vous ne m'avez pas recueilli; j'étais nu, et vous ne m'avez pas vêtu; j'étais malade et en prison, et vous ne m'avez pas visité

29 mars 1957, Troisième jour, Jean II, 24-25
Mais Jésus ne se fiait point à eux, parce qu'il les connaissait tous,
et parce qu'il n'avait pas besoin qu'on lui rendît témoignage d'aucun homme; car il savait lui-même ce qui était dans l'homme.

La toile de fond est la résistance, les nazis, les camps. Puis c'est l'Indochine et enfin l'Algérie, Salan, les milices, les terroristes et les contre-mesures, la torture, les exactions sans nom et la mort comme seule issue, comme seule rempart, comme seule logique. La justification et la logique sont là pour sauver des vies, des milliers de vies, pour trouver un chemin à travers ce néant, cet au-delà de l'enfer dans lequel sont entrés ces hommes et duquel ils ne sortiront évidemment pas, nulle illusion de leur côté ; il n'y aura pas de rédemption à la clé, la foi ne peut pas résister aux faits, aux actions qu'ils perpétuent.

Deux mondes qui se côtoient, deux frères d'armes qui se sont éloignés l'un de l'autre. André Degorce a toujours agit au nom de la logique, de ce monde qu'il s'est construit petit à petit tout en renonçant au monde réel qui l'entoure, à l'amour de sa femme et d e ses enfants, à la peur quotidienne aussi qu'ils soient l'objet d'attaques, sorte de châtiment céleste. De son côté Andreani est mu par une double logique d'amour et de haine envers son Capitaine envers cette homme avec lequel il est revenu d'au-delà de l'enfer, avec cette homme où ils sont déjà morts, il assume pleinement son rôle.

Vient se poser entre eux, Tahar, une des dernières pièces du réseau, le commandant de l'ALN arrêté par Degorce, celui-ci prend conscience a ses côtés de la vacuité des choses, de sa vie et sa logique s'ébranle, s'effrite, il rend les hommages à cet homme qui est quelque part à la fois son pendant et sa clé de sortie? enfin il l'espère secrètement ce que ne veut pas comprendre Andreani qui se sent blessé, outragé.
Au-delà de ces hommes c'est assisté dans une langue d'une précision chirurgicale et d'une finesse qu-dessous de la torture et de tous les moyens employés par nous les hommes contre nos propres semblables, la honte et l'horreur de notre bassesse, ? les mots manquent devant cette enfer qui se joue devant nous. C'est aussi le peu de considération de l'homme en tant que tel, des disparitions presque mécaniques, des oblitérations de ces vies qui n'ont plus d'existences même physique, de cette routine dans laquelle ces hommes entrent dans une logique impitoyable.
Aucune justification ne peut s'opposer à la logique qui est la laur, un monde incompréhensible pour tout un chacun, seuls ceux qui en font partie sont à même de comprendre, une logique sans failles o seule la mort a rendez-vous.

Un roman où l'écriture vous emmène dans le tréfonds de l'âme des protagonistes, cette part cachée, ce dernier refuge qu'ils ont abandonnés, ensevelis par leurs actions, les derniers replis de l'âme ou de la conscience de soi et de ce que l'on est. Superbement écrit ce roman donne froid dans le dos tout en posant l'équation.