BLOG CULTUREL
Apprendre à prier à l'heure de la technique de Gonçalo M. Tavares
Lire étonnant s'il en est qui nous raconte l'histoire d'un homme, d'une fratrie, d'une famille, de sa famille, de la politique.
Le docteur Lenz Buchmann a une main en or ; c'est elle qui lui donne cette force et qui a fat sa renommée dans le monde de la chirurgie. Le Dr Lenz Buchmann a un frère, un aîné avec lequel ils ont peu de points en commun, c'est lui l'héritier de son père, du militaire qui l'a fait, qui l'a construit par morceau de phrases.
Son frère est malade, il n'est bientôt plus, les malades de ce type sont toujours en rémission.
Lenz Buchmann est maintenant seul, il est devenu l'héritier, celui par qui toute l'histoire de la famille doit avancer, sa bibliothèque est reconstituée, il est à nouveau UN.
Il va abandonner la chirurgie pour se lancer dans la politique avec un succès certain, il devient très vite le numéro 2 du parti, il apprend vite. Sa détermination est à toute épreuve et son comportement méthodique; il s'est fixé un but qu'il va atteindre. C'est une évidence même, il n'est pas sympathique, froid même, il ne vous plaît pas mais il sait faire semblant.
Sa secrétaire est la fille d'un soldat que son père a tué à la guerre, le destin est étrange, il voit cela comme un signe. Sa femme et un clochard meurent dans une tragédie sans nom, la sympathie de tout un chacun va à cet homme touché par le malheur. Les portes du pouvoir son là mais à deux pas du pouvoir il apprend qu'il est lui aussi malade, un étrange sentiment qui le voit complètement décliner. Elle a un frère, muet et sourd de naissance, une étrange relation va naître entre eux puis entre lui, cette secrétaire/infirmière et cet homme diminué jusqu'à la fin.
Une étrange construction que celle de ce roman qui si elle est linéaire n'empreinte pas moins quelques détours, retours en arrière, une contextualisation certaine, des raccords nécessaires et bien vus ; un style tout à soi et d'une limpidité chirurgicale, une logique implacable, une ligne de conduite qui ne fait pas dans le détail, une analyse psychologique essentielle tout autant qu'une gestuelle
"Ce qui le fascinait chez les gens étranges, c'était l'absolue liberté avec laquelle ils faisaient leurs choix individuels. Chez le fou ou le mendiant qui erraient dans les rues en demandant du pain, Buchmann voyait des hommes pouvant choisir, avec une liberté pure et sans conséquences, leur morale individuelle. Une morale à nulle autre pareille, sans équivalent aucun.
Un fou n'était pas immoral, un mendiant non plus. C'étaient des individus sans égal, de même qu'un roi n'a pas de pair, n'a personne à ses côtés.
Buchmann regardait avec admiration ces hommes qui avaient dans leur poche un système juridique unique, avec leur nom à la fin. D'une certaine manière, c'était cela que Buchmann dédirait : être le héraut d'un système légal dont les lois ne s'appliqueraient qu'à lui, d'une morale qui ne serait ni celle du monde civilisé ni celle du monde primitif, qui ne serait pas la morale de la cité ni même celle de sa famille, mais une morale qui porterait son nom, rien que son nom, inscrit à son fronton."
Point oméga de Don DeLillo
Don de Lillo nous emmènes dans deux mondes étranges, ils se rejoignent par un bout. Des mondes à la fois éloignés et proches.
Dans un premier temps on retrouve un homme devant la performance artistique au MOMA de Douglas Gordon qui projette le film Psychose d'Alfred Hitchcock au ralenti, sur une période de 24 heures. L'homme en question appréhende cette expérience à sa manière, voulant voir d'une traite le film, il revient pendant plusieurs jours pour voir se dérouler celui-ci, se plongeant littéralement dans les abîmes du temps. L'espace reste le même mais les mouvements sont ralentis, le temps se contracte et tout ce qui apparaissait dans une continuité se retrouve sous un autre plan, les effets de saisissement ne sont plus, les plans se découpent de manière infinitésimale
De l'autre côté, on retrouve un jeune cinéaste Jim Finley qui veut réaliser un film sur Richard Elster, un universitaire conservateur qui a été invité au gouvernement pendant quelques temps. Jim aimerait faire un film sur lui, sur ce qu'il est ce qu'il a fait. L'homme l'invite à venir dans sa propriété, quelques part aux portes du désert. Sa fille arrivera de manière inopinée quelques jours plus tard, sa mère voulant l'éloigner de New York. Difficile de percer un homme tel que celui-ci, à la verve légendaire, dont la pensée est au-delà des contingences, visionnaire. C'est là-bas qu'il est question du point Oméga.
Mais j'ai quand même un peu de mal à trouver le lien avec la pensée de Theilard de Chardin qui voit dans le point Oméga : "Le « point Oméga » est conçu comme le pôle de convergence de l'évolution. Le « Christ Cosmique » manifeste l'avènement d'une ère d'harmonisation des consciences fondé sur le principe de la « coalescence des centres » : chaque centre, ou conscience individuelle, est amené à entrer en collaboration toujours plus étroite avec les consciences avec lesquelles il communique, celles-ci devenant à terme un tout noosphérique. L'identification non homogénéisante du tout au sujet le percevant entraîne un accroissement de conscience, dont l'Oméga forme en quelque sorte le pôle d'attraction en jeu à l'échelle individuelle autant qu'au plan collectif. La multiplication des centres comme images relatives de l'ensemble des centres harmonisés participe à l'avènement de la résurrection spirituelle ou théophanie du Christ Cosmique."
Et puis c'est la disparition et l'effondrement, la perte de repères, le retour. Cette seconde moitié de première partie rend très bien l'ambiance et les échanges qui ont lieu, les discussions, les non discussions, la chaleur du désert, cette qualité intrinsèque, presque visuelle, cette envie d'aller là-bas, de se perdre dans ces horizons et ce ciel ; s'abandonner à la vie qui passe.
Dernière partie, ou la rencontre, éphémère mais qui changera de beaucoup les données de l'équation.
Rencontre entre l'homme qui regarde depuis maintenant quelques jours et plus la projection de Psychose au MOMA et cette femme, conversation étrange et décalée, elle arrive à le sortir de sa torpeur, de son enfermement par sa manière décalée d'être elle-même.
Une écriture riche et visuelle qui vous donne à réfléchir à la fois sur la perception et sur l'espace qui vous entoure. Beaucoup de perception de soi dans cet étrange roman entre essai et fiction. Les interrogations fusent, sur soi, sur les autres, sur notre condition humaine en ce bas monde et sur la vie qui défile et cet espace qu'est le temps.
Un extrait :
"Il y avait un homme debout contre le mur nord, à peine visible. Les gens entraient par deux ou trois, ils s'immobilisaient dans l'obscurité pour regarder l'écran, et puis ils s'en allaient. Parfois c'est tout juste s'ils franchissaient le seuil, des groupes plus nombreux arrivés là par hasard, des touristes ahuris. Ils regardaient en se balançant d'un pied sur l'autre, et puis ils s'en allaient.
Il n'y avait pas de sièges dans la salle. L'écran sur pied était dressé au milieu, trois mètres sur cinq. C'était un écran transparent, et quelques visiteurs, peu nombreux, prenaient le temps de passer de l'autre côté, où le même film, plan par plan, se déroulait à l'envers. Ils s'attardaient encore un moment et puis ils s'en allaient.
La salle était froide, et seule la lueur grise de l'écran l'éclairait. Près du mur nord, l'obscurité était presque complète, et l'homme qui se tenait là seul leva une main vers son visage, répétant, avec une extrême lenteur, le geste d'un personnage sur l'écran. Quand la porte coulissait pour laisser passer des gens, entrait un furtif éclat de lumière, venu de l'autre salle, où, à quelque distance, se tenaient d'autres groupes en train de regarder les livres d'art et les cartes postales.
Le film passait sans dialogue ni musique, sans bande-son d'aucune sorte. Le gardien de musée se tenait tout près de la porte, et, il arrivait qu'en sortant, les gens le regardent, cherchant à croiser son regard, comme en quête d'une sorte d'une hypothétique compréhension mutuelle susceptible de valider leur effarement. Il y avait d'autres salles, des étages entiers, nul besoin de s'éterniser dans une pièce hermétique où ce qui se passait, quoi que ce fût, prenait, à se passer, un temps infini.
L'homme près du mur regardait l'écran, et puis il commença à longer le mur adjacent jusqu'à se trouver de l'autre côté de l'écran, de manière à voir la même action en image inversée. Il regarda la main d'Anthony Perkins se tendre vers la portière d'une voiture, la main droite. Il savait qu'Anthony Perkins utiliserait sa main droite de ce côté-ci et sa main gauche de l'autre côté. Il le savait mais il avait besoin de le voir et il se déplaça le long du mur dans la pénombre avant de s'écarter de quelques mètres pour regarder Anthony Perkins de ce côté-là de l'écran, au verso, Anthony Perkins qui utilisait sa main gauche, la mauvaise main, pour ouvrir la portière de la voiture.
Mais pouvait-il qualifier de mauvaise la main gauche ? Car en quoi ce côté-ci de l'écran eût-il été, en quelque façon, moins véridique que l'autre côté ? "
Deux vidéos : la première un extrait au ralenti de psychose; la seconde, à l'envers du bouquin et du propos, Psychose en 24 secondes.....
Dojoji de Mishima (7,5/10)
Dans ce recueil de 4 nouvelles, trois sont assez excellentes quand à la quatrième eh bine ma foi elle ne m'a pas semblé d'un intérêt grandiose.
La première nous conte l'histoire quelque peu extravaguante d'une armoire démesurée et dans laquelle on aurait retrouvé un amant, tout un programme qui vaut bien quelques heures de lecture.
La seconde nous parle des v?ux de Demoiselles et de leur traversée de Sept ponts pour que leur désir se réalisent, une belle embardée nocturne
La nouvelle phare est Patriotisme dans laquelle on retrouve es thèmes chers à Mishima d'honneur et de suicide en l'occurrence avec la vision d'un jeune couple formé d'un Lieutenant de l'armée impéraile et de sa jeune épouse qui vont se suicider, retour sur ces derniers instants, assez époustoufflant et vibrant
Et pour la perle, une histoire d'anniversaire et de thé qui ma foi n'a que peu d'intérêt.
Découvrez donc ces nouvelles
Grand prix du web littéraire
Loin de la fausse agitation du Goncourt et du Renaudot avec Houellbecq et Despentes, le grand prix du web littéraire association de Ulike.net et de la Chronique de la rentrée littéraire annonçait en direct de La Cantine, les gagnants de cette année dans les 4 catégories suivantes :
- Roman français : François Marchand - plan social (lien Amazon)
- Premier roman : Christophe Ghislain - la colère du Rhinocéros (lien Amazon)
- Roman étranger : Kathryn Stockett La couleur des sentiments (lien Amazon)
- Grand prix du jury : Gonzalo Tavares - Apprendre à prier à l'ère de la technique (lien Amazon)
Alors de quoi s'agit-il exactement ? Eh bien pour la seconde année, l'équipe de la chronique littéraire sélectionne un certain nombre de bloggeurs et leur demande de lire et de critiquer un roman de la rentrée. Plus de 350 romans ont été chroniqués cette année? sur les 700 sortis
Cela permet d'avoir une approche plus proche du public et loin des choix politique des prix classique. Les grands prix devraient d'ailleurs en tenir compte et revoir un tantinet leur mode de fonctionnement?
A partir des votes émis par les internautes, 5 romans sont choisis dans chaque catégorie et un jury mixte composé de professionnels et de bloggeurs « avertis » échangent, débattent, choisissent les gagnants pour chaque catégorie.
Cette année, un autre partenaire s'est joint au grand prix du web littéraire, le réseau de librairie Cultura qui a décidé de sélectionner avec Chronique de la rentrée littéraire 46 romans et critique de bloggeurs afin de les rematérialiser sous la forme d'un livret qui sera mis gracieusement a disposition des futurs lecteurs pour leur permettre d'avoir un avis critique dénué de tout parti pris.
En tout cas, une très belle initiative qui permettra je l'espère de faire connaître à la fois les gagnants du grand prix littéraire mais aussi d'autres auteurs qui ont pu être apprécié par un certain nombre de lecteurs et bloggeurs
Pour ma part, je vous conseille déjà la lecture de Qu'as-tu fais de tes frères de Claude Arnaud et Où j'ai laissé mon âme de Jérôme Ferrari
Le fond du ciel de Rodrigo Fresan (4/10)
Le fond du ciel de Rodrigo Fresan, le 4ème de couverture et différents articles m'avait bien donné envie de me plonger dans ce roman de science-fiction d'un autre genre, les références à Lovecraft, Borges et j'en passe ne pouvaient que m'attirer.
Eh bien j'ai été très déçu, tout d'abord le début du roman est assez déroutant, on se perd assez rapidement ce qui n'est franchement pas dans mes habitudes ; enfin on arrive à retrouver le fil et à comprendre qu'il s'est passé quelque chose, que cet Incident est le déclencheur de tout et c'est ce vers quoi l'auteur va essayer de nous emmener, cet incident, ce fil conducteur qui lui permet de revenir sur sa vie, sur son enfance, ses parents, Ezra surtout lui d'ailleurs et de leur complicité, de leur séparation aussi et de sa présence qui reste là toujours dans l'air du temps, de ses coups de téléphone et d'Elle, celle qu'ils ont oublié et qui revient, qui à nouveau est là? cela semble obscur, cela ne l'est pas trop mais rien de fascinant ni de révolutionnaire ou encore de passionnant tout simplement, on se fatigue, on se lasse rapidement, moi en tout cas pour un piètre résultat?
Voilà tout est dit ou presque, moi cela ne m'a pas du tout plu en tout cas ; faites vous une autre opinion sur la chronique de la rentrée littéraire si vous avez le courage...